NEULLIES

EMILE

  FERDINAND

 

 

 

Emile Ferdinand NEULLIES, dit Edmond BEUGE, naquit à Rousies le 01/02/1846, fils de Jules Joseph NEULLIES et d'Adèle Joséphine THOMAS. Issu d'une famille modeste, il reste, selon ses propres déclarations " l'ami de l'ouvrier et du paysan dont il partage les jeux populaires ".

 

Ingénieur des Arts et Manufactures, architecte, il sera conseiller municipal, puis adjoint au maire de Maubeuge pendant 38 ans. Il tient des rubriques patoisantes dans le journal La Frontière et publie au profit des pauvres un " vocabulaire maubeugeois " particulièrement savoureux, réédité en 1995 par les Amis du Livre.

 

Sa maison du faubourg Saint Lazare fut incendiée par l'explosion de la poudrière de Falize en 1914. Arrêté le 10 janvier 1918 par mesure de représailles avec quelques autres notables (l'Allemagne réclamait en vain le retour des otages Alsaciens-Lorrains gardés en France), il eut juste le temps de faire une petite valise contenant " deux mouchoirs de poche, une serviette de toilette, un veston, deux chemises et un petit pardessus gris ", avant d'être dirigé vers Hirson, puis la Russie.

 

Un habitant de Rousies, Léopold Jules TROKAY, directeur de laminoirs, l'accompagne. Le froid est intense, M. NEUILLES, âgé de 72 ans, est malade. Comme un fonctionnaire de la ville essayait d'obtenir un sursis, il lui fut répondu: "nous n'avons pas la même façon d'envisager la guerre, nous ordres sont précis et les arrestations sont opérées de façon à les rendre, le plus possible, pénibles et impressionnantes".

 

Accompagné de 590 autres otages, il arriva le 11 janvier à Zoste en Pologne à 19 heures, et dut faire à pied, par une épouvantable tempête de neige, les sept kilomètres qui le séparait du camps de Milejgany en Lithuanie. Il succomba dans la nuit du 15 au 16 janvier, des suites d'une congestion causée par le froid, comme le raconte M. Emile FERRE, directeur de l'Echo du Nord, qui était au nombre des otages:

 

"J'ai vu, sur un grabat jeté par terre, sans draps, sans oreillers, avec des couvertures d'emprunt, le vieillard mourant qui fut le premier de la lugubre série. C'était M. Neuillés, architecte, bien connu dans le Nord, adjoint au maire de Maubeuge. Sa figure émaciée, où les yeux brillaient d'un étrange éclat, avait quelque chose d'immatériel; sa voix sans force, voilée, indistincte, disait des mots qu'elle n'achevait pas. C'était une voix de l'au-delà, parlant une langue qui n'était pas de la terre... Je me penchai vers lui; son regard cherchait mon regard. Oh! ce demi-sourire d'infinie tristesse et d'amère résignation qui flottait sur ses lèvres, d'où sortait un souffle en saccades, pénible comme un râle!...

 

 

Le soir tombait, l'obscurité enveloppait la salle. Une lampe faisait dans un coin une clarté fumeuse. Le vieillard continuait de me parler et je ne le comprenais plus. Et son regard se faisait plus insistant, plus mobile, d'une mobilité inquiète et suppliante, comme s'il cherchait, comme s'il demandait des absents. Et les absents qu'il cherchait, après lesquels soupirait tout son être douloureux, c'était la famille, c'étaient les amis chers, c'était tout ce qui atténue les affres du redoutable passage, c'était l'image du Christ miséricordieux dont les bras tendus accueillent l'âme qui s'en va...

 

Et il mourut la nuit dans un abandon qui n'est comparable qu'à celui du Calvaire, tandis que ses compagnons d'exil, ne soupçonnant rien du drame qui se déroulait à leurs pieds, cherchaient sur leurs couchettes de bois un sommeil toujours rebelle, et qu'au dehors des loups, dont on vit le lendemain les piétinements dans la neige, venaient flairer le bâtiment où la mort était entrée.

 

Le notaire Fiehaux, d'Oisy-le-Verger, assisté de deux témoins, fit l'inventaire du bagage de M. Neuillés. Il était des plus modestes. Deux mouchoirs de poche, une serviette de toilette, un veston en drap gris, deux chemises de finette, trois boîtes de lait condensé: c'était tout. Et, comme on s'étonnait qu'un homme de cette condition ait quitté Maubeuge pour la Russie sans s'être muni de vêtements chauds et de lainages, on apprit ce détail lamentable que moins heureux - si l'on peut dire - que beaucoup d'autres, il n'avait pas été averti par l'autorité allemande du lieu de sa déportation et qu'il pensait qu'on allait l'emprisonner à la citadelle de sa ville natale. C'est pourquoi, pendant tout le voyage, on l'avait vu grelotter sous un petit pardessus gris... ".

 

Il est Officier de l'Instruction Publique, et titulaire de la médaille militaire et de la légion d'honneur. Une rue de Maubeuge porte son nom. Il est inscrit sur la plaque commémorative dans le hall d'honneur de l'École Nationale Supérieure des Arts et Métiers de Châlons en Champagne.